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24 mai 2023

FLASH - La France prise dans l'engrenage de la violence : les vraies causes de cette contagion

Policiers tués par un chauffard, infirmière tué au CHU de Reims, attaques contre les élus, explosion des fusillades à Marseille, génération AK 47,.... Faut-il s'attendre à ce que la France - un pays violent - soit de plus en plus confrontée à des graves problèmes de sécurité ? Quand est-ce que l'Etat, méritant le carton rouge, va se réveiller avant que ça pète de tous les côtés et que le pays entier sombre dans le chaos voire la guerre civile ?

ANALYSE - L'explosion des actes de violence, cet été, a fait éclater au grand jour une réalité déjà ancienne : plus aucun territoire en France n'est épargné. Face à cette banalisation, des policiers, des magistrats et des élus proposent des solutions aux défaillances de l'État.

En ce dernier week-end du mois d'août, le quartier de la gare du Nord ne désemplit pas. Les touristes sont encore nombreux et les voleurs de bagages toujours à l'affût des voyageurs les plus vulnérables ou les plus distraits. « Ce quartier de la capitale est un concentré de délinquance, confie un policier qui patrouille dans le secteur. C'est une véritable cour des Miracles. Nous sommes cernés par la consommation de crack, les trafics de drogue, les pickpockets, les vols en tout genre. »

Un homme visiblement choqué arrive. Il décrit aux policiers un individu qui vient de lui arracher sa chaîne en or. Le suspect, qui ne se ­cachait pas, est rapidement interpellé. Il n'exprime aucune émotion et se laisse menotter sans résistance. Détaché, presque flegmatique, c'est un jeune Afghan, en situation irrégulière. Il ne répond pas aux questions des policiers. « La situation sur le terrain se dégrade, affirme l'un d'eux. Les vols et les agressions augmentent, mais ce qui nous frappe le plus, c'est cette désinhibition. Les délinquants ont bien compris qu'en France, ils ne risquaient pas grand-chose, à part un rappel à la loi. »

Vérification faite par l'équipage, l'individu est « connu pour une trentaine de faits délictueux, il est en situation irrégulière et, pourtant, il continue à sévir dans la rue » : « Aujourd'hui, il sera mis en garde à vue et probablement libéré très vite, pour recommencer aussitôt, soupire le policier. On aura préservé la société de ce prédateur pour quelques heures ­seulement et il y en a beaucoup d'autres. On a vraiment l'impression que notre boulot revient à vider le tonneau des Danaïdes… c'est sans fin. Et la victime n'obtiendra certainement jamais réparation. »

La réputation de la gare du Nord n'est plus à faire, mais la notion de « quartier chaud » a-t-elle encore un sens, alors que c'est précisément la diffusion de la délinquance sur la ­totalité du territoire qui frappe les ­esprits ? À Paris, le Trocadéro n'a plus rien à envier à la Goutte-d'Or. En province, des villes autrefois réputées tranquilles comme Nantes connaissent désormais cet « ensauvagement » admis, fin juillet, par Gérald Darmanin dans son ­interview au Figaro. Agression de pompiers et de policiers à Limoges le 2 août ; à Boulogne-sur-Mer, le 10 ; attaque au couteau à Grenoble, le 11 ; à Niort, le 28 ; multiplication des vols et des rodéos urbains à Lyon, tout l'été… le phénomène se propage à tous les territoires, même si, quantitativement, la capitale et les grandes métropoles restent les plus touchées.

Conscient des effets ravageurs de cette généralisation, le ministre de l'Intérieur a passé une grande partie de son été sur le terrain aux côtés des forces de l'ordre, avec des annonces conçues pour frapper l'opinion, comme cette obligation faite à chaque commissariat d'opérer au moins trois contrôles par jour pour faire cesser les rodéos urbains. Dans ce cas, la politique du chiffre ne marche pas toujours, selon Matthieu Valet, commissaire et porte-parole du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP) « Les interpellations à répétition sans poursuite où, quelques heures après, l'auteur du rodéo est dehors, c'est le meilleur moyen de démotiver les policiers, tempête-t-il. Cela tue le sens de notre travail. Faire des opérations à la chaîne pour faire du chiffre, mais sans suite judiciaire, c'est contre-productif. Plutôt que demander plus de contrôles, il faudrait d'abord arrêter de nous noyer sous la paperasse dès qu'on procède à une ­interpellation, et surtout nous donner un cadre juridique qui protège les policiers lors de leurs interventions. Tout en apportant une réponse plus ferme de la justice. L'explosion de la délinquance est le résultat d'une lâcheté collective. Dès qu'il s'agit de violences physiques, il faudrait des condamnations d'un an au minimum. »

Policier en Seine-Saint-Denis depuis 2009, Karim partage cette analyse. Affecté aux quartiers sensibles, l'homme se dit lassé de ce sentiment d'impunité, mais surtout de cette ­banalisation des faits de délinquance et de violence : « Aujourd'hui, tout est filmé, partagé sur les réseaux sociaux avec légèreté, et rien n'est jamais grave. J'ai récemment interpellé un proxénète qui prostituait une­ adolescente, de sa cité, âgée de 14 ans. Il ne comprenait pas ce qu'on pouvait lui reprocher. » Défaillance des ­parents, communautarisme, ­influence néfaste des grands frères, laxisme de la justice, manque de soutien de la hiérarchie…

Karim n'a que des mots très durs contre ce qui constitue, selon lui, une chaîne de responsabilités qui accentuent les difficultés sur le terrain. « Je suis toujours très motivé, précise le gardien de la paix, mais je ne fais plus rien. J'interpelle quand je n'ai pas le choix. Pourquoi se démener alors que la justice ne condamne pas ? On arrête des délinquants et on les retrouve libres quelques heures après. Ça n'a pas de sens. Si j'en fais plus et que cela se passe mal lors d'une intervention, je risque de perdre mon travail. Aujourd'hui, les policiers sont en première ligne de tous les risques, y compris ceux de la ­machine à broyer administrative. »

Démotivation

Policier dans la métropole lilloise, Mourad tient le même discours. Ce trentenaire connaît bien les quartiers difficiles de l'agglomération pour y avoir grandi. Il constate avec amertume la dégradation de la situation et la banalisation de la délinquance. Toujours aussi motivé par sa mission de service public, le policier plaide pour plus de bon sens et de fermeté. « Il ne s'agit pas de jouer les cow-boys et d'embraser les quartiers, tempère-t-il, mais il est absolument nécessaire de reprendre du terrain, pour cela il faut nous donner les moyens de faire correctement notre travail, mais aussi être appuyé par la justice avec une ­réponse pénale ferme. »

Cette impression de laisser-aller et cette démotivation des forces de l'ordre, Christiane les constate de plus en plus chaque jour. Cette aide-soignante à la retraite vit depuis près de 38 ans à Bobigny dans la cité de l'Abreuvoir. Dans ce quartier sensible, les rodéos urbains sont légion et les dealers de drogue ne se cachent pas. « Ce qui a changé, raconte Christiane, c'est l'âge des délinquants. Ils sont de plus en plus jeunes, ils ont entre 10 et 16 ans, installent des canapés dans les halls d'immeubles, fument, boivent, prennent du gaz hilarant font du rodéo avec des motos ou des quads, ils embarquent même avec eux des ­bébés de 2 ou 3 ans, c'est de la folie ! Où sont les parents ? On n'appelle plus la police, car on nous répond toujours la même chose : on ne peut rien faire. Et nous subissons des représailles. Les jeunes urinent sur nos paillassons ou défoncent nos portes pour nous intimider. »

Habitante d'un quartier sen­sible, Christiane a le sentiment d'être abandonnée par les pouvoirs publics. Comme beaucoup de ses voisins, elle réclame « plus de sévérité envers ces délinquants. »

« On parle du laxisme de la justice, mais on devrait plutôt parler du laxisme de l'État, et même d'un bilan de faillite de l'État dans le domaine de la justice », s'insurge Béatrice Brugère, présidente d'Unité magistrats FO. Selon elle, « c'est l'exécution des peines, prison, amendes ou TIG, qui n'est absolument pas à la hauteur des attentes ». En matière de violences contre les forces de l'ordre, par exemple.

En 2020, le garde des Sceaux a adressé une directive aux procureurs leur enjoignant de privilégier la procédure accélérée de la comparution immédiate. « Ce qui revient à leur demander de s'en tenir à une qualification délictuelle des faits y compris en cas de guet-apens, explique l'ancienne juge. Pourtant, les circonstances aggravantes de bande organisée, de guet-apens, d'usage ou menace d'une arme de l'article 222-14-1 du code ­pénal, qui prévoit dix à quinze ans de réclusion criminelle, répondent parfaitement aux actes de violences les plus graves subis par les forces de l'ordre quotidiennement. »

Le facteur culturel

Une autre magistrate, pénaliste, conteste elle aussi le manque de sévérité de sa corporation. Selon elle, c'est la population délinquante qui a changé. Ancienne juge d'instruction et avocat général, la « perte de repères » chez les jeunes n'est pas pour elle un sujet de thèse, mais une réalité concrète. Elle se retrouve « tous les jours ou presque, face à des auteurs d'agression qui revendiquent leur geste » : « Ils sont persuadés qu'ils ont eu raison, qu'ils ne pouvaient pas faire autrement. Qu'il s'agisse du coup de couteau donné pour un mauvais ­regard, du passage à tabac du petit ami de la sœur s'il n'appartient pas à la “bande” ou d'une “jambisation”, autrement dit d'un règlement de comptes à coups de tir dans les jambes ».

Le mot et la méthode étaient principalement utilisés par les dealers en Seine-Saint-Denis il y a une dizaine d'années, aujourd'hui, ils sont connus dans tous les quartiers où ­sévissent les trafiquants de drogue. « Jambisation » est la traduction des « gambizzazioni » de la mafia italienne. Comme elle, beaucoup de ­délinquants, surtout parmi les jeunes, vivent dans un monde qui a ses propres codes. « Ils n'en connaissent pas d'autre, soupire la magistrate, qui décrit « un modèle familial qui n'a plus rien à voir avec celui qui prévalait il y a trente ans, avec des mères seules mais aussi d'autres, d'origine africaine, où la mère et la ou les belles-mères cohabitent avec un père qui ne s'occupe pas des enfants. Cette polygamie de fait est plus fréquente à Bobigny qu'en Lozère et notre ­interlocutrice ne veut pas généraliser les causes de la délinquance, mais elle constate un schéma récurrent ».

« Je pensais que les phénomènes de bandes de plus en plus en plus violentes étaient une question sociale, mais ce n'est pas que cela, confirme Najwa el-Haïté, adjointe au maire d'Évry-Courcouronnes et, par ailleurs, avocate. Il y a aussi un facteur psychologique et un facteur culturel, et ce n'est pas être facho de le dire ! Nous sommes face à des comportements claniques, régis par les codes du groupe qui l'emportent sur les lois de la République. Ce sont des sociétés parallèles ».

À Orléans, Serge Grouard, maire depuis 2001, a mis en place un groupe de traitement de la délinquance dès le début de son premier mandat. « On a eu la chance d'avoir un procureur de la République extrêmement volontaire », souligne-t-il. Ce groupe ne se contente pas d'examiner la situation générale : il se penche sur des cas précis – tel individu, telle famille – et examine les mesures possibles.

Et ça marche. Élu avec son étiquette Les Républicains sur le thème de la lutte contre l'insécurité, Serge Grouard a obtenu des résultats qu'il met volontiers en avant. Il en a même fait un livre l'an dernier. « Quand je suis arrivé à la mairie, raconte-t-il, il y avait des meurtres en pleine ville et presque autant de voitures brûlées qu'à Strasbourg, sans parler des ­rodéos. On a pris l'ensemble du problème à bras-le-corps. Aujourd'hui, la délinquance dite de proximité a baissé dans tous les quartiers sans exception et pour toutes les rubriques, agressions et dégradations de biens comprises. » Son plus grand motif de fierté : la part des mineurs dans la délinquance a elle aussi diminué.

Le discours des maires socialistes ou écologistes qui se défaussent des problèmes d'insécurité sur l'État – Anne Hidalgo à Paris et Éric Piolle à Grenoble en tête – l'horripile. Selon lui, « le principe de compétence général des maires leur permet de se saisir de tout ce qui ne leur est pas interdit ». Cette conception de ses attributions lui a valu plusieurs conflits juridiques. « L'un des premiers arrêtés que j'ai pris en 2001 et qui a fait beaucoup parler c'est un couvre-feu entre 23 heures et 6 heures du matin pour les moins de 13 ans. Le préfet nous a déférés en justice pour atteinte aux libertés fondamentales. Il a perdu. Ensuite, l'État a fait appel devant le Conseil d'État, qui nous a aussi donné raison. »

Rétablir des peines courtes

Rebelote en 2014, quand Serge Grouard, réélu dès le premier tour, crée une délégation chargée de lutter contre l'immigration clandestine. « Face aux pressions de l'État, j'ai ­modifié l'intitulé de la délégation mais pas sa mission », raconte le maire, qui rappelle que comme tous ses collègues, il lui revient de délivrer les attestations de séjour aux étrangers et de vérifier leur statut en cas de mariage avec un Français. « On va bien sûr me faire des procès d'intention, soupire-t-il, mais j'assume d'affirmer qu'entre 70 et 80 % des personnes interpellées pour des actes de délinquance sont issues de l'immigration au sens de l'Insee (née en France d'au moins un parent immigré, soit 21,6 % de la population en 2020, selon les travaux réalisés par la démographe Michèle Tribalat à partir des données de l'Insee, NDLR). La défaillance de l'autorité parentale est en particulier l'une des premières causes de la délinquance des jeunes et elle est plus fréquente dans les familles issues de l'immigration. »

Autre caractéristique remarquable dans l'explosion de la délinquance : dans la majorité des cas, les auteurs sont connus des services de police et/ou de justice. « Quand j'ai commencé à exercer il y a plus de trente ans, témoigne un juge, un casier long portait 10 condamnations. Aujourd'hui, j'en vois fréquemment qui en comportent entre 20 et 30. »« L'idée qu'il faut laisser une deuxième, une troisième, une énième chance à un délinquant est très présente non seulement chez une partie des magistrats, mais dans certaines élites et chez la plupart des journalistes, dénonce Thibault de Montbrial, président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure. C'est une manière de penser le droit pénal qui date des années 1970, et que les délinquants d'aujourd'hui interprètent en général comme un signe de faiblesse. La dernière réforme du code pénal des mineurs, initiée par Nicole Belloubet et mise en place par Éric Dupond-Moretti, illustre parfaitement ce contresens. Désormais, le jeune délinquant est déféré très rapidement devant un juge, mais la sanction est reportée de plusieurs mois, le temps de voir comment le jeune se comporte. C'est un mécanisme qui est intellectuellement séduisant, mais beaucoup trop subtil pour ce type de délinquants. Un jeune qui ressort libre d'un tribunal se dit : “génial, je n'ai rien eu.” Il faut inverser le paradigme : il faut une sanction pénale significative dès la première condamnation – qui, en général, n'est d'ailleurs pas le premier délit ! »

« Significative ne veut pas dire excessive, précise-t-il. Les pays du Nord ont des prisons dédiées aux mineurs pour des détentions très courtes. Ils peuvent y être placés cinq jours seulement, avec un accompagnement, bien sûr. Il faut que le jeune se dise j'ai touché, ça brûle, pour que ça constitue un avertissement tangible et pas abstrait, sans qu'il risque d'être viré de ses études, de perdre son boulot, sa copine ou son logement. »

Entre les démarches administratives, les recours et les travaux proprement dits, construire une prison prend quasiment dix ans. Des établissements pénitentiaires dédiés aux peines courtes, sans système de sécurité lourd, pourraient sans doute être construits plus vite, à moindres frais et sans soulever la même opposition du voisinage. Ce serait une façon de répondre à ce qu'un magistrat appelle les « injonctions contradictoires » auxquelles sont soumis les juges : « L'opinion publique veut des peines lourdes, mais l'État lui demande de vider les prisons. » Rappelons que les peines courtes – inférieures ou égales à un mois – n'existent plus. Les peines de moins de six mois doivent être aménagées, sauf motivation particulière, par exemple quand les alternatives à la prison ont déjà été utilisées et qu'elles ont échoué. Les peines de moins de deux ans sont soumises à peu près au même régime, sauf quand le condamné est en récidive. 

  • Alors que les maires français sont la cible d'attaques violentes, beaucoup se sentent abandonnés et certains démissionnent !

MAYOR BASHING - Moins de deux mois après avoir perdu sa maison dans un incendie criminel, le maire d'une ville de l'ouest de la France a démissionné cette semaine, invoquant notamment un "manque de soutien de la part de l'État". Dans un contexte politique de plus en plus tendu, les attaques contre les maires se multiplient en France. Et certains disent qu'ils ont été abandonnés à leur sort.  

Le 22 mars, à l'aube, Yannick Morez, maire de Saint-Brevin-les-Pins, dans l'ouest de la France, s'est réveillé et a trouvé sa maison en flammes.

"Nous aurions pu mourir", a écrit M. Morez dans la lettre de démission qu'il a présentée mardi. Ni lui ni sa famille n'ont été blessés, mais l'incendie a détruit sa maison et deux voitures garées à l'extérieur. L'incendie était une attaque délibérée et ciblée.

Près de deux mois plus tard, l'enquête est toujours en cours. Mais M. Morez a déjà décidé de prendre un nouveau départ et prévoit de quitter la ville où il vit depuis 32 ans d'ici à la fin du mois de juin.

Le président Emmanuel Macron a exprimé sa solidarité avec le maire dans un tweet au lendemain de sa démission, qualifiant les attaques de "honteuses".

    Les attaques contre Yannick Morez, maire de Saint-Brevin-les-Pins, et contre sa famille, sont indignes. À cet élu de la République, à son épouse et ses enfants, je redis ma solidarité et celle de la Nation.
    - Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 11 mai 2023
Ancien médecin, M. Morez était maire de Saint-Brevin, qui compte environ 14 000 habitants, depuis 2017. Dans les mois précédant l'attentat, la ville avait été secouée par des manifestations d'extrême droite contre le projet de déplacer un centre local d'hébergement pour demandeurs d'asile à proximité d'une école primaire.

Saint-Brevin accueille des migrants depuis le démantèlement, en 2016, du camp de la "Jungle" près de Calais, sur la côte nord de la France.

"Nous n'avons jamais eu le moindre problème" avec les migrants, a déclaré M. Morez lors d'un entretien avec un journaliste quelques jours après l'attaque.

Mais les manifestations organisées par des groupes d'extrême droite ont été accompagnées de menaces répétées à l'encontre de M. Morez, qui avait déposé de nombreuses plaintes depuis janvier de l'année dernière.

Dans un contexte politique de plus en plus tendu, avec un soutien croissant aux idéologies d'extrême droite et une méfiance grandissante à l'égard des institutions, les maires français commencent à se sentir en danger.

Manque de soutien

M. Morez a expliqué les raisons de sa démission dans un communiqué de presse. Après une longue période de réflexion, il a pris la décision de démissionner en invoquant non seulement des "raisons personnelles" liées à l'incendie criminel, mais aussi un "manque de soutien de la part de l'État". L'ancien maire affirme que peu ou pas de mesures de sécurité ont été mises en place pour le protéger, lui et sa famille, malgré des demandes d'aide répétées.

"Son sentiment d'abandon peut être compris de différentes manières", explique Bruno Cautrès, chercheur en sciences politiques au Centre national français de la recherche scientifique (CNRS). Bien que des élus locaux se soient manifestés pour exprimer leur soutien, le maire estime qu'aucune mesure visible et concrète n'a été prise pour l'aider.

"Il est vrai que la population nationale n'a appris que le maire était menacé qu'après sa démission", a déclaré M. Cautrès.

Le gouvernement n'est pas d'accord. La secrétaire d'État chargée de la ruralité, Dominique Faure, a insisté sur le fait que l'État français avait pris des mesures concrètes pour soutenir M. Morez.

"Je ne peux pas laisser passer ça", a-t-elle tweeté, avant d'énumérer les moyens mis en œuvre par l'État pour le soutenir. "Nous avons mis en place des contrôles de police réguliers devant sa maison, enregistré son domicile pour que les autorités puissent intervenir [en cas d'incident] et assuré la sécurité lors des manifestations contre le centre d'asile."

Mais selon un article du quotidien "Libération", "la plupart des mesures de sécurité n'ont été prises qu'après l'incendie de la maison de M. Morez. Après avoir tiré la sonnette d'alarme auprès des autorités locales en janvier 2022 au sujet des actes d'intimidation quotidiens auxquels il était confronté, M. Morez a finalement porté la question à l'attention du procureur de Nantes en février 2023, demandant une équipe de sécurité personnelle pour le protéger, lui et sa famille. Il a reçu une réponse indiquant que les autorités étaient encore en train d'évaluer les risques pour déterminer si une équipe de sécurité était nécessaire. Moins de deux semaines plus tard, M. Morez avait démissionné."

La création de centres d'accueil pour les migrants fait partie d'une politique gouvernementale nationale supervisée par le premier ministre et le ministre de l'intérieur. Mais M. Morez "s'est senti livré à lui-même lorsque se sont posées les questions liées à l'hébergement des demandeurs d'asile", explique M. Cautrès.

"Il aurait sans doute souhaité que le gouvernement lui explique mieux [la politique] et le guide tout au long du processus", a déclaré M. Cautrès. "Ils auraient pu travailler avec lui pour sensibiliser la population locale à cette question et apaiser les inquiétudes des habitants.

La menace que représentent les opposants au centre d'asile aurait également pu être signalée plus tôt. Après les manifestations répétées organisées à Saint-Brevin par le parti d'extrême droite Reconquête, dirigé par l'ancien candidat à la présidence Éric Zemmour, "j'ai du mal à imaginer que la police n'ait pas su qui était une menace potentielle", a déclaré M. Cautrès. "Le maire a probablement estimé que la gendarmerie aurait pu intervenir avant que les choses ne dégénèrent."

Le manque de soutien dont a souffert M. Morez est un sentiment partagé par de nombreux maires en France, qui sont de plus en plus souvent la cible d'agressions et d'attaques.

Un métier dangereux

Selon une enquête publiée en novembre 2022 par le Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris et l'Association des maires de France, 53 % des maires avaient subi des "incivilités" (impolitesse ou agression) en 2020 ; en 2022, 63 % d'entre eux avaient été victimes d'un tel harcèlement.

Dans un pays où plus de la moitié des communes comptent moins de 500 habitants, il est facile de savoir où vit le maire. Ils sont très souvent en contact étroit avec leurs communautés. Si les attaques contre d'autres élus, comme les députés, sont également devenues plus fréquentes, les maires sont "les plus exposés", selon M. Cautrès.

Mais contrairement à l'incendie criminel dont a été victime M. Morez à Saint-Brevin, les maires sont surtout préoccupés par la violence qui n'a pas d'idéologie. Les "cas liés à la vie quotidienne" sont plus préoccupants, explique M. Cautrès. "Comme recevoir une lettre de menace parce qu'un habitant a été sanctionné pour avoir fait du feu dans son jardin."

Le maire de Firminy (Loire), Julien Luya, a été agressé en janvier par un groupe de jeunes habitants qui vendaient de la drogue. Après qu'ils ont allumé un feu pour se réchauffer, le maire est intervenu et leur a dit que c'était contraire à la loi. Il a été violemment frappé à coups de pierres et de barres de fer et s'en est sorti avec une blessure au coude.

"À Saint-Brevin, les habitants n'étaient pas les seuls à manifester contre le centre d'asile," a déclaré M. Cautrès. "Les manifestants d'extrême droite venaient des quatre coins de la France. C'est une distinction importante à faire".

L'association des maires a déclaré au journal français "Le Parisien" qu'environ "1 500 agressions contre des fonctionnaires municipaux avaient été signalées en 2022, soit une augmentation de 15 % par rapport à l'année précédente. La moitié de ces agressions étaient des insultes, 40 % des menaces et 10 % des violences volontaires".

Selon l'association, 150 maires ont été physiquement visés en raison de tensions locales ou idéologiques.

Le bas de la chaîne alimentaire

M. Cautrès et l'association des maires expliquent la hausse des agressions par les tensions persistantes dans la société française, qui a connu ces dernières années de multiples crises, notamment le mouvement des Gilets jaunes, Covid-19, l'inflation et la réforme très contestée des retraites.

"Il y a un déclin général de la confiance et du respect envers les institutions, tout ce qui représente une autorité hiérarchique"
, a expliqué M. Cautrès. Par rapport à d'autres pays européens, "la vision qu'ont les Français de la politique en général est l'une des plus négatives".

Les maires sont également confrontés à une population "de plus en plus exigeante et de plus en plus frustrée de ne pas obtenir ce qu'elle a demandé", a ajouté M. Cautrès.

Du côté des élus, le consensus général semble être qu'il faut durcir les conséquences pour les auteurs d'attentats. Le Premier ministre Élisabeth Borne a soutenu cette idée à la suite de l'incendie criminel du domicile de M. Morez.

"Ce qui s'est passé est très choquant", a-t-elle déclaré jeudi, lors d'une visite à La Réunion, territoire français de l'océan Indien. Elle a ajouté qu'elle souhaitait "mieux protéger les maires (...) intervenir plus tôt pour les soutenir, identifier leurs difficultés et mieux les accompagner".

Des mesures visant à mieux protéger les maires sont déjà en cours d'élaboration. En janvier 2023, une loi visant "à mieux soutenir les élus pour rompre leur isolement juridique est entrée en vigueur. Elle permet à des groupes nationaux tels que l'association des maires, ainsi qu'aux assemblées législatives, de se porter partie civile en cas d'agression d'un élu. La loi facilitera l'accès au dossier de la victime et permettra aux associations et aux assemblées législatives de désigner des avocats."

Pendant ce temps, dans le sud de la France, les élus prennent les rênes. Quelque 2 000 maires de la région Occitanie se sont réunis mardi à Montpellier pour faire part de leurs inquiétudes face à la violence croissante dont ils sont victimes.

"Les maires ont l'impression qu'on leur demande de tout résoudre eux-mêmes", a déclaré M. Cautrès à propos de la réunion. "Mais ils ne peuvent pas."

Sources : Le Figaro et F24

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