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24 octobre 2022

La France hantée par la guerre civile


Quand les djihadistes et les barons de la drogue font la loi dans les banlieues - Des rangs d'hommes en uniforme sont bombardés de cocktails Molotov, de mortiers de fortune et de tirs d'armes à feu. Des commandos se préparent à s'infiltrer dans une forteresse urbaine recouverte de fumée. Une ville brûle sous l'œil attentif de la presse, qui parle d'une "guerre civile".

Ce n'est pas le siège d'Alep, c'est une scène du film Athena de Romain Gavras, qui se déroule dans l'une des banlieues françaises en feu. Au milieu des grenades fumigènes, la police et les Athéniens se livrent à des combats brutaux au corps à corps, avec des barres métalliques et des matraques. Plus tard, la police utilise des échelles de pompiers pour escalader les murs d'une tour d'habitation. Des Athéniens tournent autour d'un commissariat de police assiégé, tirant des mortiers de fortune à bout portant. Les hommes des deux côtés sont visiblement choqués.

Athéna, une banlieue fictive, a pris les armes suite à la mort d'Idir, 13 ans, apparemment aux mains des policiers locaux. Une vidéo virale semble le confirmer. Mais plutôt que d'être un énième film anti-flics protestant contre la brutalité policière, Athena ne précise jamais si la police a effectivement tué Idir. Le public est privé d'un message politique clair et antiraciste. On nous laisse choisir nos propres méchants.

Alors que la police assiège Athéna, les trois frères d'Idir choisissent des voies très différentes. Karim, le plus jeune, devient le général et le messie d'Athena, s'insurgeant contre les brutalités policières, organisant le pillage d'un commissariat voisin et assurant la défense d'Athena. Mokthar, l'aîné, essaie simplement de sauver son empire de la drogue au milieu du chaos. Le frère cadet, Abdel, est un vétéran décoré qui s'est battu avec l'armée française au Mali, et veut que justice soit rendue à Idir, mais sans effusion de sang. Le film est animé par cette tension centrale : entre l'idéaliste vengeur, le cynique violent et l'enfant-vedette de l'assimilation française, lié par l'honneur.

Athena est une dramatisation, tournée à Évry-Courcouronnes, juste au sud de Paris - mais il pourrait s'agir d'un documentaire se déroulant dans n'importe lequel des quartiers les plus difficiles de France. Ces dernières années, la police a été expulsée de ces zones (pour revenir en masse, pour de courtes périodes et, de préférence, jamais la nuit). Évry-Courcouronnes elle-même a été secouée par une série de meurtres commis par des gangs et d'affrontements d'une violence indescriptible. Dans toute la France, les journaux débordent d'histoires d'ambulances, de camions de pompiers et de voitures de police bombardés de frigos, de boules de pétanque ou de cocktails Molotov dans des quartiers similaires. Les autorités sont impuissantes, tout comme elles le sont à Athènes. Comme se vante un Athénien en pillant le commissariat de police : "nous sommes la police".

Les banlieues sont dirigées par les cartels de la drogue, qui prospèrent là où les opportunités économiques font défaut. On estime qu'elles génèrent 4,2 milliards d'euros par an en France (le secteur de l'édition, à titre de comparaison, génère 3,75 milliards d'euros) et emploient au total environ 21 000 personnes à temps plein. Au cours des quatre dernières décennies, les gouvernements français successifs ont versé des dizaines de milliards d'euros dans des plans banlieues extraordinaires et autres "plans Marshall" pour rénover ces quartiers et attirer les entreprises, mais ces territoires restent profondément ségrégués et peu attractifs. Le trafic de drogue reste l'un des rares emplois stables.

Prenons l'exemple de Kassim, originaire d'une banlieue de Marseille, interviewé dans le cadre du documentaire de BFMTV "Marseille, la guerre de la drogue" : il décrit son emploi stable et bien rémunéré comme un chouf (qui surveille la police ou les bandes rivales, de l'arabe "surveiller"). Il est catégorique : il n'est pas un gangster, et il est fier des longues heures qu'il passe : "Je travaille comme tout le monde".

Les cartels ne sont pas la seule force séparatiste dans ces quartiers. La montée de l'islam politique radical a encore aliéné certaines parties des banlieues de l'État français. Selon le spécialiste du djihadisme Hugo Micheron, plus de 2 000 individus en France sont considérés comme constituant une menace djihadiste directe, tandis que 20 000 autres sont étroitement surveillés par les services de renseignement français. Mais il existe un groupe beaucoup plus important, comptant jusqu'à 750 000 personnes qui sympathisent avec les idées islamistes radicales, selon le sondeur Jérôme Fourquet. Le mouvement islamiste est loin d'être uni, mais il a néanmoins éduqué une partie importante de la prochaine génération à défier l'infidèle (la société française) - un rejet suivi par les sondages au cours de la dernière décennie.

Dans Athéna, comme dans la réalité, l'attachement des rebelles à la France est fluctuant. Après avoir pillé le commissariat, un jeune Athénien dans une camionnette volée brandit fièrement le tricolore, laissant entendre que les jeunes insurgés ne cherchent pas seulement à venger la mort d'Idir. Il est tentant de voir les insurgés comme des héros luttant pour une République française plus juste. Mais plus tard dans le film, certains rebelles ayant le goût de la guerre renforcent le récit du "nous et eux". Karim traite son frère Abdel, héros de guerre, de "pute en uniforme pour la France". Pour avoir combattu pour l'armée française au Mali, Abdel est accusé d'être un Oncle Tom, un traître à sa "vraie" communauté - qui se considère comme extérieure à la nation. Les banlieues font-elles vraiment partie de la France ?

La culture française semble obsédée par cette question. On assiste actuellement à une prolifération de films mettant en scène des guerres civiles dans les banlieues. L'un des films les plus rentables de France en 2021, Bac Nord - basé sur une histoire vraie - dépeint une confrontation entre la police et des gangs locaux dans le nord rugueux de Marseille. Et Athena est lui-même né des Misérables de 2019, qui mettait en scène un soulèvement similaire des banlieues, du point de vue des flics. Il a été réalisé par Ladj Ly, l'un des principaux scénaristes d'Athena, et bien que la confrontation entre la police et les habitants ne dégénère pas en une guerre totale, Gavras a expliqué : "L'idée avec Athena était de faire démarrer avec la prochaine émeute" - après les événements des Misérables - "l'étincelle d'une confrontation qui n'a pas encore eu lieu et qui pourrait malheureusement conduire au début d'une guerre civile."

Les Français sont hantés par leur histoire de guerre civile. La dernière a eu lieu il y a seulement 60 ans : ses braises sont encore chaudes - ce à quoi Gavras fait allusion en incluant occasionnellement un drapeau algérien dans Athena. Certains membres de la droite française, notamment Eric Zemmour, ont longtemps capitalisé sur cette anxiété, en prédisant une nouvelle guerre civile entre les "vrais" Français et la jeunesse islamisée. Plus récemment, ces craintes se sont étendues au-delà de l'extrême-droite. Le pays a été sérieusement secoué par une série d'attentats brutaux perpétrés par des terroristes islamistes. L'année dernière, des sondages ont montré que si seulement 45 % des personnes interrogées pensent que la France connaîtra bientôt une guerre civile, 86 % estiment que dans certaines villes et certains quartiers, les lois de la République ne s'appliquent plus, et 73 % que la société française se désintègre.

Il y a un an, deux lettres ouvertes, rédigées par des dizaines de généraux à la retraite et de militaires en activité alors anonymes, mettaient en garde contre l'imminence d'une guerre civile. Ils demandaient au gouvernement de rétablir l'autorité de l'État dans ces quartiers - ou, comme ils les appelaient, ces "territoires perdus de la République". Alors que la plupart des officiers restent strictement apolitiques, la lettre a reçu un soutien public non négligeable, 58% des Français soutenant ses auteurs.

Même les politiciens centristes manient ce genre de rhétorique de nos jours. "Séparatisme" ou "séparatisme islamiste" sont des termes couramment utilisés pour exprimer l'inquiétude que suscitent ces territoires. L'ancien ministre de l'Intérieur de Macron, Gérard Collomb, a prononcé un discours de démission dans lequel il s'inquiétait du fait que si les Français vivaient actuellement "côte à côte", ils pourraient bientôt être "face à face", étant donné que dans de nombreuses banlieues, "la loi des dealers et des islamistes radicaux a remplacé celle de la République". L'ancien président François Hollande a admis qu'il pensait qu'il y avait un "problème avec l'islam et que la France était sur la voie de la partition en raison de l'incapacité de la nation à intégrer un flux incessant de migrants."

Macron lui-même, qui était plutôt un multiculturaliste de centre-gauche comparable à un jeune Tony Blair, s'est nettement orienté vers la droite sur les questions d'identité et d'immigration. Dans une tentative controversée de gagner le soutien des électeurs de sa droite, il a donné une interview au magazine Valeurs Actuelles, un magazine de droite, dans laquelle il a suggéré qu'il fallait "expulser ceux qui n'ont pas leur place ici". Après l'assassinat de Samuel Paty, le Parlement dominé par les macronistes adopte un projet de loi qui, entre autres dispositions, renforce considérablement la capacité de l'État à contrôler l'organisation et le financement des associations religieuses. Elle a rapidement été surnommée la "loi sur le séparatisme".

Si certains craignent les conflits civils, d'autres les souhaitent et s'y préparent. À Athéna, la menace des groupes d'extrême droite est omniprésente, attendant de tirer profit du chaos. L'État français affirme que ces groupes ont mené une opération sous faux drapeau pour faire accuser la police de la mort d'Idir. Dans la réalité, ces cellules semblent actuellement trop désorganisées, ou embryonnaires, ou sous trop de surveillance, pour constituer une réelle menace à court terme. Mais il est tout à fait possible que des groupes ou des individus sous le radar décident d'assassiner aveuglément ceux qu'ils considèrent comme une menace. En 2019, un homme de 83 ans a tenté de brûler une mosquée à Bayonne, avant d'être pris en flagrant délit par des paroissiens locaux. Il les a abattus sur place. Gavras n'a pas eu à inventer grand-chose pour dépeindre une société française prise entre l'enclume des djihadistes et le marteau de l'extrême droite.

Il est difficile d'imaginer une amélioration immédiate. En fait, les choses risquent d'empirer, l'inflation et la crise du coût de la vie exerçant une pression encore plus forte sur les quartiers les plus pauvres de France. Les politiciens de droite et d'extrême droite vont exploiter la crise et imiter les récents succès de Giorgia Meloni et des Démocrates suédois. Mais les idées politiques sont rares. Pour un pays qui passe tant de temps à produire des récits de guerre civile époustouflants, il y a un manque évident de solutions potentielles. Celles qui sont proposées vont de l'insuffisante - limiter les flux d'immigration en s'opposant aux accords commerciaux internationaux - à l'horriblement radicale - créer un ministère de la "re-migration".  Athéna ne sera pas le dernier film de ce genre : sous un gouvernement aux abois, les Français continueront à craindre, et à fantasmer, sur la guerre civile.

Beaucoup de gens s'accordent pour penser que la situation actuelle en France - et au-delà - ne pourra durer encore longtemps sans qu'un qu'ait lieu un inéluctable conflit de grande ampleur. Alors ? Guerre civile ? Guerre de libération nationale ?

Une chose est claire : le temps joue contre les nationaux et la majorité des étrangers parfaitement intégrés. Affrontement de deux blocs constitués ? Guerre larvée ? Guérilla ? Lent grignotage ? Génocide par substitution ?

Quel sera le facteur déclencheur du conflit ? Les frigos vides ? L'invasion migratoire ? Le chômage ? La crise économique ? Un attentat de masse ? Un soulèvement populaire ? La résultante de plusieurs causes ? Et si, tout simplement, nous étions dans le déni et qu'elle avait déjà commencé. Car chaque jour qui passe n'apporte-t-il pas son lot de peurs, de confusion ? Ce ne sont qu'agressions gratuites rétrogradées au rang d'incivilités ! Ce que l'on appelle encore justice déraille complètement, mais de combien de vitesses dispose donc le dérailleur ? Le citoyen lambda se sent abandonné, manipulé. La gestion pitoyable de cette grippe est révélatrice d'un état de délabrement. A moins que l’objectif inavoué ne soit de tuer un maximum de gens ? Beaucoup de personnes commencent à se poser cette question surréaliste ! Quels sont les arguments de nature à prouver le contraire ? Au final l'explosion ne sera-t-elle pas le fruit d'une somme de frustrations et d'injustices ? Tôt ou tard, ça finira par péter très fort !

Article traduit sur Unherd

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