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1 mai 2022

DOCU - La face cachée du recyclage

Allons-nous tous finir étouffés et empoisonnés par nos déchets ?

L’Humanité, à certains égard, fait penser à un énorme, à un gigantesque artichaut : on se régale, mais une montagne de déchets s’accumule dans notre immense assiette... et en déborde. Chaque minute, dans le monde, l’équivalent d’un camion poubelle est déversé dans les océans. Mais que faire des restes de notre festin ?

Les détruire ? Logique mais pas si simple. Le grand incinérateur à cheval sur la commune d’Ivry-sur-Seine et le XIIIe arrondissement parisien, l’un des plus gros en Europe, engloutit à lui seul 650 000 tonnes d’ordures chaque année, rejetant 24 heures sur 24 de longues traînées d’une fumée blanche visible de loin. Pour savoir exactement ce qu’elle contient, le collectif de riverains 3R (« Réduire-Réutiliser-Recycler ») a fait faire des analyses : vapeur d’eau, gaz carbonique, dioxyde de soufre, poussière, acide chlorhydrique, ammoniac, plomb et arsenic... Le plus angoissant, c’est que tout cela est parfaitement conforme à la législation. Dans les entrailles du géant, ce n’est guère plus rassurant. De ce déluge d’ordures – dont la moitié, sans doute, aurait pu être recyclée –, il restera, après combustion à 1 000 degrés, plus de 20 % de déchets solides, le mâchefer. Les deux tiers sont « valorisables », notamment dans la construction de routes, le tiers restant, bourré de dioxines et de métaux lourds, est stocké en attendant que les générations futures aient le bon goût de trouver une solution. Cadeau. Il y a pire encore : les 2,5 % de REFIOM (résidus d’épuration de fumées d’incinération d’ordures ménagères) hautement toxiques et confiés aux bons soins de l’Allemagne, qui en enfourne sans sourciller 600 000 tonnes par an dans ses anciennes mines de sel, lesquelles menacent de s’effondrer.

Recycler, alors ? Pas moins compliqué, à cause de la place qu’occupe dans nos poubelles le plastique, dont la production mondiale est passée d’un million de tonnes par an en 1950 à... 360 millions de tonnes par an aujourd’hui ! Avec les effets qu’on connaît en matière de pollution. Seulement voilà, une fois trié, le plastique ne se recycle pas ou peu, pour être précis il se « décycle » : au mieux, nos bouteilles d’eau minérale ou de soda deviendront d’autres bouteilles, des textiles, des tuyaux d’arrosage, des isolants, etc., mais deux ou trois fois maximum et avec 30 % de perte à chaque fois. L’ennui, c’est que les déchets plastiques, c’est d’abord très moche dans le paysage, mais cela devient surtout très dangereux quand on ne les voit plus, explique Nathalie Gontard, chercheuse à l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), quand, à force de se dégrader ils sont devenus invisibles et envahissent les cours d’eau, les océans, les estomacs des animaux... et les nôtres. On estime qu’un individu en ingère en moyenne l’équivalent d’une carte de crédit par mois et que 60 % des placentas humains sont contaminés !

Le recyclage du plastique n'est donc qu'un rêve pour le moment. En attendant d’en faire une réalité – des chercheurs français travaillent sur une nouvelle enzyme particulièrement gloutonne –, il reste une autre option, sans doute la plus cynique : l’exportation, légale ou non. Ou plutôt il restait, car, de 2018 à 2020, l’Indonésie, la Chine, le Cambodge et la Thaïlande, principales destinations de ce trafic, y ont mis un coup d’arrêt. Panique en Occident, notamment aux États-Unis : à Deltona (90 000 habitants), en Floride, 13 000 tonnes de déchets stagnent à l’air libre depuis qu’on a cessé de trier afin d’éviter un surcoût dû au recyclage du plastique dans le pays et estimé à... un dollar mensuel par habitant ! « Ce pays est capable d’envoyer des hommes dans l’espace mais pas de traiter ses propres déchets ! », ironise une habitante amère. Il est visiblement incapable également de sortir de ses erreurs : depuis octobre 2020, les États-Unis négocient un énorme accord avec le Kenya, incluant l’accueil de millions de tonnes de plastique américain en contrepartie de facilités commerciales. Quand on sait que ce pays, connu pour ses parcs naturels, croule déjà sous le poids de ses propres ordures – 200 tonnes par jour dans la plus grosse décharge à ciel ouvert de Nairobi –, il y a de quoi être inquiet, et la résistance des militants écologiques locaux, tel James Wakibia, s’organise...

« Comme une majorité de Français, je pensais agir à mon niveau en déposant le plastique dans la poubelle jaune, mais cette enquête va nous révéler qu’une toute petite partie du plastique est réellement recyclée. Certes, beaucoup de plastiques usagés sont utilisés dans l’isolation des maisons, mais ce n’est pas véritablement du recyclage. Seules les bouteilles d’eau transparentes sont réellement recyclées et deviennent de nouvelles bouteilles d’eau, mais le procédé ne peut être répété que 3 à 4 fois d’affilée, au-delà le plastique n’est plus recyclé. Heureusement, la recherche avance. Une entreprise française est en bonne voie pour repousser cette limite. Elle est sur la piste d’une enzyme permettant de recycler les bouteilles d’eau à l’infini.

Nous avons rencontré aussi de nombreux combattants prêts à nous aider, pour que nous sortions de notre addiction au plastique jetable. Fanny Vismara informe les consommateurs dans les supermarchés, Nathalie Gontard fait avancer la recherche, et Kris Schaerer se bat contre les incinérateurs de déchets. Grâce à Kris Schaerer, nous découvrons que les incinérateurs produisent des cendres extrêmement toxiques, dont nous nous débarrassons en les expédiant vers l’Allemagne. Là-bas, elles sont stockées dans des mines de sel qui ne sont plus exploitées.

La situation est pire dans les pays en voie de développement. Nous avons vu l’insoutenable décharge à ciel ouvert de Dandora, au Kenya. C’est l’une des plus grandes du monde, et elle ne cesse de s’étendre alors qu’elle jouxte déjà les écoles, les bidonvilles. Les Kenyans doivent se battre, car les États-Unis veulent leur envoyer leurs plastiques usagés pour qu’ils soient recyclés et réutilisés en Afrique. Les USA ne savent plus comment se délester de leurs déchets plastiques depuis que la Chine ne veut plus les récupérer. De ce fait, beaucoup de villes américaines ont renoncé au tri sélectif. Nous sommes allés le constater dans une ville de Floride où désormais tous les plastiques sont laissés à l’air libre.

Il est grand temps de prendre le problème à bras le corps. Nos méthodes de recyclage doivent évoluer. Il est urgent de se débarrasser de tous les plastiques jetables. Pour nous engager dans cette démarche, ayons à l’esprit qu’un simple sac plastique, utilisé en moyenne 15 minutes, va mettre entre 450 et 1 000 ans pour se décomposer. » Hugo Clément

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