Quand le choc énergétique et alimentaire déclenchent grèves, manifestations et parfois des révoltes. Alors que des grèves se répandent en Europe et internationalement contre l’austérité et l’inflation, un conflit explosif émerge entre la classe ouvrière et l’oligarchie financière.
En 2022, la pression accumulée de ces éléments s’entre-croisant de la crise capitaliste mondiale a atteint l’équivalent d’une masse critique, c’est-à-dire qu’ils ont atteint le point où la dynamique de la crise dépasse la capacité des gouvernements à contrôler le mouvement vers un cataclysme social. Faut-il redouter un second Mai 68 puissance 2 dans le futur ?
55. La flambée des prix a accéléré les processus sous-jacents qui entraînent une montée de la lutte des classes dans le monde entier. La longue période de stagnation imposée par le mécanisme des appareils syndicaux se heurte à une opposition massive. Dans chaque pays, on assiste à un renouveau du militantisme de la classe ouvrière. « Les lois de l’histoire », comme l’a écrit Trotsky, « sont plus puissantes que l’appareil bureaucratique ».
56. L’augmentation du coût de la vie, notamment la flambée des prix des denrées de première nécessité, est un des principaux facteurs de la montée de l’agitation sociale. Selon le Fonds monétaire international, le prix du blé a augmenté de 80 % entre avril 2020 et décembre 2021, à mesure que la pandémie de COVID-19 s’installait dans le monde, faisant monter les prix alimentaires à leur plus haut niveau depuis les années 1970. En 2022, le prix du blé a encore bondi de 37% et celui du maïs de 21%. Les contrats à terme sur le blé sont 80% plus élevés qu’il y a six mois et ceux sur le maïs de 58%.
57. Au Sri Lanka, les manifestations contre le gouvernement ont commencé fin mars et se sont poursuivies en avril et mai, culminant dans trois grèves générales massives qui ont forcé à la démission le président Gotabhaya Rajapakse, qui a fui le pays. D’importantes manifestations centrées sur les prix des denrées alimentaires et du carburant ont également eu lieu en Équateur, au Pérou, au Liban, au Pakistan et dans d’autres pays.
58. En Turquie, il y eut une série de grèves sauvages en décembre et en janvier, impliquant des travailleurs de l’acier, du papier, de la chaussure, du fer et de la construction.
59. En Iran, les manifestations antigouvernementales ont commencé en septembre après la mort de Mahsa Amin, arrêtée par la Police de la moralité pour avoir prétendument enfreint la loi sur le hijab obligatoire. Les premières manifestations ont impliqué principalement des couches de la classe moyenne motivées par l’hostilité au régime bourgeois clérical de l’ayatollah Khamenei. L’impérialisme américain cherche également à exploiter la crise intérieure en Iran pour promouvoir ses propres intérêts au Moyen-Orient.
60. En décembre, des couches de la classe ouvrière iranienne – notamment, des ouvriers de la pétrochimie, des travailleurs de l’acier et du ciment, et des chauffeurs de bus – ont participé à une «grève nationale» de trois jours dans le cadre des manifestations. Le développement des protestations dans une direction progressive – en opposition au gouvernement bourgeois en Iran sans soutenir les opérations de changement de régime de l’impérialisme américain – dépend de la construction d’une direction trotskyste dans la classe ouvrière.
61. L’inflation a un impact immense sur le développement de la lutte des classes en Afrique. Vingt-trois des 54 pays d’Afrique dépendent de la Russie et de l’Ukraine pour plus de la moitié des importations d’un de leurs produits de base. La flambée des prix exacerbe la faim dans des conditions où la plupart des pays africains n’offrent aucun filet de sécurité sociale. L’impact est particulièrement extrême dans les pays qui importent la plupart de leurs denrées alimentaires et où les effets économiques du COVID-19 ont été les plus durement ressentis, comme au Nigeria, au Kenya, au Ghana, au Rwanda et en Égypte. Le nombre de gens confrontés à la faim en Afrique devrait dépasser 500 millions sur les 1,2 milliard d’habitants du continent.
62. Dans toute l’Afrique, des travailleurs sont entrés en lutte malgré les efforts des appareils syndicaux. Les travailleurs de la santé du Kenya ont défié une décision de justice et se sont mis en grève le 9 décembre. Le Nigeria a connu des grèves de professeurs d’université, de chauffeurs de bus et de fonctionnaires. La grève des chauffeurs de bus de Lagos (Nigeria), qui a défié la bureaucratie du syndicat officiel NURTW (Syndicat national des travailleurs du transport routier), a eu une importance particulière.
63. L’Afrique du Sud a également connu des grèves allant des travailleurs de Makro, en grève pour des questions de salaire, aux travailleurs licenciés de la compagnie d’électricité sud-africaine Eskom qui ont fait grève pour leur réintégration. En Afrique du Sud, les travailleurs de la base affrontent la bureaucratie de la confédération syndicale COSATU qui forme une alliance tripartite avec le parti bourgeois ANC (African National Congress) et le Parti communiste sud-africain, stalinien. Des milliers de travailleurs sud-africains de la fonction publique ont participé à des manifestations nationales en novembre pour réclamer une augmentation de 10% de leurs salaires. Ces manifestations ont débouché sur une grève générale d’une journée dans tout le secteur public.
64. L’Amérique latine, qui a été il y a trois ans le théâtre de soulèvements massifs contre les inégalités sociales et les régimes politiques pourris de la région, a connu une nouvelle vague de lutte des classes en 2022. En plus de grèves générales des travailleurs des docks, de l’industrie du pneu, des transports, des enseignants, des soignants et d’autres secteurs, l’Argentine a enregistré plus de 9.000 manifestations de rue en 2022, ce qui en fait l’année avec le plus grand nombre de « piquets de grève » de l’histoire du pays. Au Brésil, une vague de luttes salariales au cours du premier semestre a entraîné 75% de grèves de plus et deux fois plus d’heures en arrêt de travail qu’à la même période l’année précédente.
65. Des manifestations massives contre l’augmentation du coût de la vie ont éclaté dans un certain nombre de pays d’Amérique latine, notamment, après les chocs économiques provoqués par la guerre déclenchée par les États-Unis et l’OTAN en Ukraine, à plus de 10.000 km de là. Les gouvernements ouvertement de droite – comme ceux d’Ariel Henry en Haïti et de Guillermo Lasso en Équateur – et ceux de la « marée rose » soutenue par la pseudo-gauche – comme Pedro Castillo au Pérou et Gabriel Boric au Chili – ont répondu à ces manifestations par une répression d’État brutale.
66. En Europe, le gouvernement français du président Emmanuel Macron a été secoué par une série de grèves des travailleurs des raffineries. Après avoir menacé de réquisitionner les grévistes pour les forcer à reprendre le travail, Macron s’est finalement assuré les services du syndicat CGT pour étrangler l’offensive. L’évolution en Allemagne a également été marquée par une radicalisation de la classe ouvrière, qui s’est traduite par une série de grèves. À l’automne, le syndicat des métallurgistes, IG Metall, s’est vu forcé d’appeler des centaines de milliers de travailleurs à une grève d’avertissement pour maîtriser la colère croissante des travailleurs face aux effets de l’inflation et à la politique de guerre du gouvernement allemand. D’autres grèves importantes ont eu lieu dans les secteurs des soins médicaux et de l’aviation durant toute l’année et en été chez les dockers.
67. Au Royaume-Uni, les cheminots, les dockers, les travailleurs des télécoms, du courrier et d’autres sections de la classe ouvrière se sont engagés dans une série de luttes. Celles-ci ont joué un rôle majeur dans la déstabilisation d’un gouvernement britannique qui a connu trois Premiers ministres en une seule année pour la première fois depuis 1924. A la fin de l’année, les syndicats cherchaient à contenir les demandes croissantes de grève générale dans ce que les médias ont appelé le nouvel « hiver du mécontentement » en Grande-Bretagne.
68. En Australie, les grèves ont atteint des proportions qu’on n’avait pas vues depuis plus de dix ans, malgré les tentatives de l’appareil syndical de limiter et de diviser les grèves. L’élection du gouvernement travailliste dirigé par Anthony Albanese en mai 2022 a été suivie d’une recrudescence des grèves de soignants, d’enseignants, de travailleurs du rail, de la mer et des transports et d’autres, contre les charges de travail intolérables et la baisse des salaires due à l’inflation. La réponse du gouvernement Albanese et des gouvernements des États fut d’intensifier les lois et mesures anti-grèves utilisées depuis plus de quatre décennies pour supprimer les luttes de la classe ouvrière.
69. En Nouvelle-Zélande, face à une inflation à 7,2%, de larges sections de travailleurs sont entrées en lutte contre le coût de la vie et les pressions générées par la crise du COVID. Les pompiers ont fait grève dans tout le pays pour la première fois en 20 ans, de même que les universitaires, les travailleurs de l’industrie manufacturière et de l’hôtellerie. Les soignants des hôpitaux publics ont refusé de faire des heures supplémentaires et se sont opposés à la suppression par le gouvernement Ardern (travailliste) du paiement temporaire de la «prime d’hiver».
70. Au Canada, 55.000 travailleurs de l’éducation de l’Ontario ont défié une loi anti-grève et engendré dans la classe ouvrière un large soutien pour une grève générale contre le gouvernement provincial d’extrême droite de Doug Ford, qui ne fut bloquée qu’à travers l’arrêt de la grève par les syndicats mêmes.
71. Enfin, certaines des batailles de classe les plus explosives se déroulent aux États-Unis, le centre du capitalisme mondial, où le nombre des grèves a considérablement augmenté en 2022 par rapport à l’année précédente, plus de 40% selon une base de données gérée par l’université Cornell. Cela comprend des grèves des travailleurs du pétrole, de l’industrie manufacturière, des soignants et d’autres salariés de la santé, d’enseignants et d’autres travailleurs de l’éducation. L’année s’est terminée sur l’arrêt d’une puissante grève de 48.000 travailleurs de l’Université de Californie, liée à des contrats de concessions acceptés par le syndicat automobile UAW (United Auto Workers).
72. Le nombre des grèves n’exprime cependant pas pleinement l’opposition existant dans la classe ouvrière. Une lutte beaucoup plus vaste a été empêchée par l’appareil bureaucratique qui a collaboré étroitement avec les entreprises et le gouvernement dans une tentative désespérée de contenir la colère sociale. Cela a pris la forme de la suppression de la lutte de 100.000 travailleurs du rail où les syndicats ont bloqué les grèves malgré les refus répétés de contrats et les votes d’autorisation de grève. Cette situation a culminé avec l’intervention directe du gouvernement pour rendre une grève illégale en décembre, une mesure de caractère essentiellement fasciste à laquelle l’appareil syndical ne s’est pas opposé – et qu’il a en fait soutenu.
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