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5 décembre 2018

EXPLOSIF - Se faire du fric et comment affamer le monde entier

Après We Feed the World, film événement hautement explosif sur les dérives de l’industrie alimentaire, le réalisateur Erwin Wagenhofer revient avec un nouveau documentaire intitulé Let’s Make Money - Se faire de l'argent, en français - une démonstration implacable sur les conséquences humaines, démographiques et écologiques de la dérégulation économique.
 
Une fascinante plongée au coeur du système financier mondial. C'est l'histoire de deux mondes qui s'interpénètrent sans jamais se rencontrer. Dans l’un, on ramasse du coton ou on casse du minerai, dans l’autre, on "fait" de l’argent. Entre les deux, une passerelle à sens unique, qu’empruntent les flux invisibles de la finance mondiale.
 
Une frontière immatérielle et pourtant infranchissable, qui concentre entre les mains de 10% de la population mondiale 80% des richesses, et les sépare du reste de l’humanité.


Un réquisitoire strident contre la finance mondiale.

Les banques introduisent notre argent dans le circuit monétaire international, si bien que toute personne ayant un compte bancaire participe, sans le savoir, au système financier mondial. A travers les témoignages des différents acteurs de ce système, le réalisateur nous révèle les dérives d'une économie sans garde-fou : paradis fiscaux, chantage économique, investissements fictifs, etc. Ce film impressionnant montre les dérives du système libéral et des conséquences humaines, démographiques et écologiques.

Wagenhofer confronte deux mondes inconciliables : celui des infâmes profiteurs du capitalisme (une infime minorité) et celui des victimes injustes du système (tous les autres). Le procédé, s’il évacue toute ambiguïté, a le mérite de la clarté. À une séquence sur des travailleurs ghanéens extrayant difficilement de l’or brut succède ainsi une scène sur le transit du précieux minerai par la Suisse, où il sera transformé en lingots.

Sentence implacable : 3 % de la richesse produite va à l’Afrique, le reste au monde occidental. Tout le film est à l’avenant. Let’s Make Money s’apparente à un cours magistral sur les causes de la crise financière dont il ressort une impression révoltante d’injustice et un profond dégoût.

L'ambition affichée du documentariste autrichien Erwin Wagenhofer est de tirer le portrait de la planète sous le joug de la finance internationale. Découpé en longues séquences, Let's Make Money passe de personnages en situations, de plaidoyers en reportages.

On verra une mine d'or à ciel ouvert au Ghana, des paysans burkinabés cultivateurs de coton, le responsable de la section financière de la Neue Zürcher Zeitung, les chantiers immobiliers d'Andalousie, le député social-démocrate allemand Hermann Scheer.

A aucun moment on ne peut douter du propos d'Erwin Wagenhofer : l'argent est le véhicule de l'oppression. Les paysans du Sahel produisent le meilleur coton du monde, mais les subventions américaines aux fermiers du Sud les empêchent d'accéder au marché mondial ; le journaliste suisse, membre de l'ultralibérale Société du Mont-Pèlerin défend le droit des habitants des pays riches à profiter des biens accumulés sans les partager avec le reste de l'humanité.

Et pourtant, au bout de ces cent sept minutes, rien n'apparaît de plus que ce collage d'histoires militantes. Les séquences sont trop courtes pour que les personnages existent. On dirait que Wagenhofer les a choisis en fonction de ce qu'il attendait d'eux, et que rien ne pourrait lui arriver de pire que d'être surpris.

Le patron autrichien d'une usine indienne sera donc un monstre à sang froid, le responsable burkinabé de l'exploitation cotonnière un défenseur des droits des opprimés. A la décharge du cinéaste, l'histoire lui a joué un vilain tour. Le film a été tourné avant que la crise financière ne bouleverse les théorèmes sur lesquels opèrent les acteurs du film. Non que l'éclatement de la bulle financière ait changé la manière de voir d'un trader de Singapour. Mais les questions auxquelles il doit répondre aujourd'hui ne sont plus celles que lui posaient Wagenhofer il y a trois ans.
We Feed the World, un dossier hautement explosif !

Avec We Feed the World, le documentariste Erwin Wagenhofer propose aux spectateurs un regard sur l’agriculture mondiale moderne. En passant par la Roumanie, l’Autriche, le Brésil, la France et l’Espagne, son enquête se focalise sur la manière dont est fabriqué ce qui arrive dans notre assiette. Il montre que la domination du Nord sur le Sud est prégnante. Comment est-il possible qu’en Afrique l’on achète des produits européens ou asiatiques comme le poulet thaïlandais ? Le réalisateur présente une face peu connue de la mondialisation: en achetant un poulet industriel, on contribue au défrichement de l’Amazonie car le Brésil déforeste pour cultiver le soja qui sert à nourrir les volailles élevées en batterie (90% de la production de soja du Brésil sont exportés). Le documentaire souligne également la différence entre industrie agroalimentaire et petite exploitation. We Feed the World adopte un style « coup de poing » visant à éveiller les consciences !

We Feed the world. "Nous nourrissons le monde". Comme tous les slogans, celui-ci (emprunté à la firme Pioneer, leader mondial des semences) cache sous une proclamation généreuse une réalité moins reluisante : celle d'une agriculture transformée en industrie, d'un "agrobusiness" capitalistique et mondialisé, qui a moins pour but de remplir les estomacs que de vider les portefeuilles, et dont le vrai slogan pourrait être : "Ça ne se mange pas, ça se vend..."

Des décharges de Vienne (où l'on jette chaque jour assez de pain pour nourrir la deuxième ville d'Autriche, Graz), aux vastes étendues du Mato Grosso (où les paysans meurent de faim à côté des champs de soja, destinés à nourrir le cheptel européen), de la plaine d'Almeria (où les tomates poussent dans de la laine de verre, irriguées au goutte à goutte et dopées aux nutriments), aux campagnes roumaines (où le gouvernement subventionne l'achat de semences transgéniques... mais la première année seulement), We Feed the World, le marché de la faim d'Erwin Wagenhofer nous confronte aux conséquences, économiques, sociales, environnementales de nos modes de consommation.

Car au-delà de la baisse de la qualité des aliments et de la perte du goût (qui n'est pas un critère reconnu pour le marché, comme nous le rappelle un des intervenants), au-delà des irrémédiables dégâts paysagers et environnementaux (déforestation de l'Amazonie, gaz à effet de serre), comment justifier qu'on laisse mourir de faim une partie de l'humanité alors que l'agriculture mondiale a largement les moyens de nourrir la planète ? Comment arrêter les flux migratoires quand on organise la ruine des paysans du Sud pour écouler les produits du Nord ?

Tout l'efficacité de We Feed the world (le marché de la faim) réside dans cette manière de juxtaposer, sans commentaire, des réalités que l'on imaginait fort éloignés, et de mettre ainsi au jour les chaînes de causalité qui les relient. C'est l'art du montage, que le réalisateur utilise avec pédagogie, et parfois ironie : ainsi quand Peter Brabeck-Lemathe, PDG du premier groupe mondial d'agroalimentaire, Nestlé, s'extasie devant les images d'une usine entièrement automatisée, après s'être vanté de faire travailler des centaines de milliers de personnes de part le monde.

Ces qualités font de We Feed the World (le Marché de la Faim) un film très pédagogique, et c'est pourquoi nous lui avons consacré un mini-site pédagogique et deux dossiers, en Géographie-ECJS ("Agriculture, alimentation et mondialisation") et Sciences Economiques et Sociales ("Mondialisation agroalimentaire, politiques régionales et stratégies des multinationales"). On renverra également à l'interview inédite d'Erwin Wagenhofer sur Vousnousils.fr, et l'article de Gilles Fumey pour les Cafés Géos, ainsi qu'au site du film qui propose dans sa rubrique "Associations" de nombreuses ressources sur les thématiques du film. Rappelons enfin que le film fait l'objet de nombreuses soirées-débats, avec le réalisateur ou des intervenants extérieurs au film, universitaires ou associatifs.

Revue de presse

Dans la même veine que "Notre pain quotidien", un autre documentaire autrichien qui vient de sortir en France dans les salles de cinéma dénonce les ravages d’une agriculture industrielle mondialisée. Le titre anglais du film d’Erwin Wagenhofer reprend le slogan de la firme semencière Pionner « à double sens », explique Eliane Patriarca dans Libération. La journaliste résume le propos du film : « c’est notre nourriture qui fait que d’autres ont faim, nos aliments « bon marché » qui coûtent très cher aux pays du Sud ».

L’article de Libération est accompagné d’une interview de l’infatigable militant suisse Jean Ziegler, présenté comme l’inspirateur du documentaire, qui dénonce une « reféodalisation du monde ». Dans une autre interview publiée dans Le Monde, le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation explique que les multinationales agroalimentaires sont « les nouveaux seigneurs féodaux ». Pour Jean-Luc Douin, critique cinéma du Monde, ce documentaire « effrayant » dénonce la « philosophie des extrémistes de la consommation et du libre-échange ». Même Le Figaro y a vu « un documentaire édifiant sur les aberrations du système agroalimentaire planétaire ». Comme Le Figaro, le quotidien économique Les Echos titre sur « l’horreur alimentaire ». « Le documentaire est engagé (...) Il n’en est pas moins édifiant », estime Emmanuel Hecht. Autre quotidien économique, La Tribune salue un documentaire « éclairant » et « pédagogique » dénonçant « les contradictions d’une industrie agricole mondialisée qui peine à nourrir la planète ». La Tribune évoque en titre les « effets pervers » de l’agriculture mondialisée, L’Humanité ses « dérives ». Pour le quotidien communiste, ce documentaire « n’est pas un brûlot polémique mais un film destiné à un large public. Le résultat est un constat désabusé et sombre sur le prix à payer de l’ordre alimentaire mondial qu’on nous impose ». L’hebdomadaire Témoignage Chrétien y a vu « un conte féroce sur la mondialisation ». Les auteurs de l’article, Stéphane Ballon et Noël Bouttier, racontent notamment comment le réalisateur autrichien a pu filmer le PDG de Nestlé Peter Brabeck, originaire du même village que lui, pour, « en confiance, se lâcher... » Cette version, confiée par Jean Ziegler, n’est pas tout à fait la même que celle que le réalisateur raconte dans un entretien publié sur le site Comme au cinéma. « L’entretien (...) a duré une heure et demie. (...) J’ai fait le pari qu’à un moment ou à un autre, s’il parlait suffisamment longtemps, il se retrouverait en situation de dire des choses inhabituelles. Et mon pari a réussi », y explique Erwin Wagenhofer. Cet interview du PDG de Nestlé est « un moment d’anthologie », estime Claire Cousin dans le quotidien gratuit Metro. C’est « le clou du film », confirme Le Courrier, journal suisse alternatif et altermondialiste. Journal de référence en Suisse, Le Temps estime également que cette interview du PDG de Nestlé constitue « le point d’orgue » du film et salue « l’habileté » du cinéaste « qui laisse le business as usual parler de lui-même ». « Sans avoir recours à un commentaire et sans jamais céder à la tentation du spectaculaire, il parvient tout de même à dire l’essentiel d’un système emballé, qui est en train de se retourner contre nous », écrit le journaliste Norbert Creutz. Toujours en Suisse, Le Matin salue lui aussi un « documentaire sérieux et instructif ». En France, Elise Moreau estime sur le site agricole professionnel Terre-Net que ce « long-métrage rappelle quelques vérités dérangeantes »

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