Recherche

22 mars 2022

FLASH - Quand les patrons cèdent à la parano !

Pourquoi chercher la petite friture au lieu de la grosse pièce pour virer ? Ambiance glaciale, harcèlement, stress pouvant aboutir en surmenage voire burn out, flicage à gogo, tenue correcte exigée, caméras et micros,... de quoi péter les plombs, se mettre en arrêt maladie ou quitter l'entreprise en vitesse ! Au travail, quand la technologie devient contremaître !

Vidéosurveillance, bracelet connecté, application vérifiant l’apparence des hôtesses d’accueil… Sur le lieu de travail, la technologie est aussi un outil de management et de contrôle. Les cas d’utilisation des nouveaux outils technologiques contre les salariés se multiplient.

« Coiffure soignée » et « maquillage discret » pour les femmes ; « barbe bien taillée » et « cheveux coiffés et entretenus » pour les hommes : chez Pénélope Welcome, les hôtesses de l’entreprise ne sont pas des salariées comme les autres. L’agence de placement, l’une des plus importantes du secteur en France, attend d’elles une mission simple : « devenir la vitrine » de l’entreprise cliente dont elles assurent l’accueil.

Une tâche dans laquelle leur employeur entend les soutenir grâce à une application miracle. « Pour vous aider dans ce challenge quotidien, nous avons conçu une application, Pénélope Selfie, à télécharger sur votre téléphone, lit-on dans un document de présentation du logiciel remis aux salariées. Cela vous permettra de réaliser chaque jour une photo de vous qui montrera votre coiffure, votre bonne mine, votre tenue et vos chaussures. » Un cliché que les salariées doivent prendre, précise le flyer, « dès que possible » après leur arrivée sur site.

« Flicage », « infantilisation », « surveillance généralisée » : les mots sont durs dans les bouches des rares salariées de l’agence qui ont accepté de parler à Mediapart, sous couvert de l’anonymat. C’est que le projet émeut. Présentée en comité social et économique (CSE) en janvier 2021, l’application a d’abord été annoncée comme obligatoire. Le syndicat Sud-Solidaires de l’entreprise a immédiatement alerté la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), qui confirme avoir enregistré la plainte.

Le syndicat a aussi saisi l’inspection du travail et, en interne, a mis la pression sur la direction. Le projet initial est remplacé par une expérimentation, présentée en CSE courant juin. « Cette expérimentation a été faite dans le cadre d’un marché bien précis à l’issue duquel nous avons décidé, récemment, de ne pas étendre le dispositif », explique aujourd’hui la communication de l’entreprise.

Côté syndical, on maintient que l’entreprise souhaite l’utiliser plus largement. « Sur le papier, Pénélope Selfie n’est plus obligatoire, précise un représentant du personnel. La direction s’est aussi engagée à ne pas l’utiliser pour sanctionner. Mais l’outil a été mentionné dans au moins un appel d’offres auquel l’entreprise a répondu, et a déjà été utilisé sur plusieurs sites. »

J’ai vu des hôtesses licenciées car leur étole était mal mise. Ces technologies, c’est une étape de plus. Charlène Gourdin, secrétaire fédérale Sud-Solidaires

Une autre réforme voulue par l’entreprise nourrit le conflit. Pour répondre aux exigences de certains clients, Pénélope Welcome envisagerait de mettre en place un service de pré-prise de poste. « Jusqu’alors, on appelait un serveur téléphonique quand on arrivait sur notre lieu de travail, pour que Pénélope soit au courant de notre présence, confie une source syndicale. L’entreprise voudrait que certaines collègues le fassent au moment où elles partent de chez elles. » Interrogée, l’entreprise mentionne une nouvelle fois une expérimentation, abandonnée à ce jour.

Dans un secteur qui compte plus de 80 % de femmes, généralement à temps partiel et payées au Smic, Sud-Solidaires craint l’escalade. « Les filles du secteur subissent déjà une pression folle, indique Charlène Gourdin, secrétaire fédérale du syndicat, qui suit de près le dossier. J’ai vu des hôtesses licenciées car leur étole était mal mise. Ces technologies, c’est une étape de plus. Les salariées le vivent comme une intrusion dans leur vie privée. Si on doit déposer des gens à l’école avant d’aller travailler, aller acheter un paquet de cigarettes sur la route, la société peut être au courant. »

Une pointeuse mobile censée faire gagner de l’argent

Portée par les conséquences du Covid-19, la surveillance technologique, de l’espace public comme des personnes en télétravail, a été largement visibilisée depuis le début de la pandémie. Le marché de la surveillance au travail est aussi en plein boom. Sysnav, une entreprise spécialisée dans les solutions de navigation, de géolocalisation et de capture du mouvement, propose, par exemple, des bracelets permettant de géolocaliser les personnes travaillant sur des postes isolés.

Née à Amiens, l’entreprise Teleric, qui fabrique de longue date des pointeuses, s’est, elle, spécialisée dans les pointeuses de nouvelle génération comme la Mini V4. L’appareil, que l’entreprise revendique avoir vendu à plus de 10 000 exemplaires, permet « de suivre en temps réel l’activité d’un agent tout au long de sa journée de travail ». Sa bonne utilisation est censée « procurer rapidement » à l’entreprise l’utilisant « des gains en termes de marge et de chiffre d’affaires ».

« Si on prend une perspective historique, la surveillance au travail émerge à la fin du XIXe siècle, en même temps que le management scientifique, rappelle François-Xavier de Vaujany, enseignant-chercheur à l’université Paris-Dauphine, spécialiste de théorie des organisations, auteur d’Apocalypse managériale (éditions Les Belles Lettres). Il faut imaginer des populations d’ouvriers, initialement ruraux, qui s’installent dans des zones urbaines et que le management va chercher à fixer, surveiller et accompagner dans la productivité. »

Qu’elle soit effectuée par un contremaître, automatisée ou numérique, la surveillance au travail est l’héritière de ces premières théories et d’un courant de pensée qui émerge à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, la cybernétique. « À l’approche de la guerre, on cherche à construire des modèles représentant la bonne stratégie de production, avec un mécanisme de correction pensé pour que les individus soient le plus productif possible », rappelle le chercheur.

Cette approche pluridisciplinaire tend vers un seul but : rationaliser au maximum les acteurs principaux du modèle de production capitaliste, c’est-à-dire les travailleurs. « On est toujours dans ce présent, où cybernétique et management se sont rencontrés sans jamais se séparer », constate François-Xavier de Vaujany.

Vidéosurveillance à l’appui

L’entreprise Seris, qui emploie plus de 8 000 agents de sécurité en France, a pour sa part fait le choix d’une technologie plus ancienne. En juin, la direction de l’entreprise a présenté devant le CSE un projet d’« utilisation des systèmes de vidéosurveillance à des fins de contrôle de l’activité des salariés ». Projet qui rappelle la surveillance dont assurent être victimes les agents de sécurité de la fondation Louis Vuitton – la direction a démenti ces allégations.

Le document détaille le projet du leader français de la sécurité privée. L’entreprise explique vouloir « utiliser les systèmes de vidéosurveillance comme mode de contrôle de l’activité des salariés et comme mode de preuve à l’appui d’une sanction ou d’un licenciement disciplinaire », en s’appuyant sur les réseaux de caméras déjà existants chez leurs clients.

Le projet provoque, sans surprise, un tollé. « Il a tout de même été mis en place », confie un syndicaliste maison, qui craint que le système ne puisse être utilisé pour licencier ses collègues.

La vidéosurveillance a-t-elle servi à des fins de sanction ? Interrogée par Mediapart, Seris ne répond pas précisément, mais ne dément pas. « Pour mener [nos] missions, nous avons notamment recours aux systèmes de vidéoprotection mis en place par nos clients dans le respect des dispositions légales, indique l’entreprise. Ces dispositifs permettent d’établir de façon certaine les dysfonctionnements susceptibles de se produire sur les sites de nos clients, d’en comprendre les causes et de prendre toutes les mesures nécessaires pour y remédier. »

Rayons X détournés ?

À l’aéroport Saint-Exupéry de Lyon, le groupe Seris a longtemps géré la sécurité passagers pour Vinci, qui exploite le site. Depuis 2019, c’est le groupe Atalian qui s’occupe de la sécurité de l’aéroport, via sa filiale AFPS, pour un budget de 79 millions d’euros annuels – lors du dernier appel d’offres, qu’il a perdu, Seris avait demandé 116 millions d’euros.
 
Le nouveau prestataire, historiquement spécialiste du ménage, emploie à l’aéroport 190 personnes, qui assurent travailler dans une ambiance détériorée. « Course au débit de passagers », effectifs qui tendent à se réduire, management difficile… Publiée en avril 2021, une longue enquête de nos confrères de Mediacités décrit une situation particulièrement difficile.

« Aujourd’hui, la situation est encore plus tendue », constate un salarié. En cause ? L’utilisation d’un outil appelé Dashboard, qui permet à la direction de l’aéroport de repasser les images enregistrées par les machines à rayons X à des fins de sécurité. L’entreprise l’utiliserait pour mettre la pression sur les salariées. « Le contrat entre Atalian et Vinci stipule que l’on ne doit pas passer plus de 30 secondes pour examiner un bagage. Des managers regardent les images et sanctionnent si l’on ne respecte pas la cadence », assure un employé.

Selon le syndicat CGT de l’aéroport, plusieurs salarié(e)s auraient été convoqué·es ces dernières semaines par la direction pour cause d’une trop faible efficacité. « Il est faux de dire que c’est via Dashboard que nous suivons le travail des collaborateurs », répond à Mediapart la direction de l’entreprise.

« Eu égard aux risques et à la menace constante, parfois renforcée, le rôle du management est de maintenir un haut niveau de performance », revendique-t-elle. Elle refuse d’évoquer « des convocations », préférant parler d’« échanges » avec les membres de son personnel, « au sujet de leurs difficultés, pour leur proposer des actions ciblées en fonction de chaque situation individuelle ».

Un agent de sûreté de l’aéroport de Lyon affirme avoir été licencié dès 2019 à l’aide du même logiciel. L’affaire, précise son avocat, est aujourd’hui devant les prud’hommes. Les élu(e)s CGT du CSE de l’entreprise, non consulté(e)s dans la mise en place du dispositif, ont décidé de saisir l’inspection du travail et envisagent une action en justice.

Pour les employeurs paranos, ce message est cadeau :


Source : Mediapart via Reddit

Aucun commentaire :