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15 mars 2018

FLASH - Le scandale de l'eau

En France, l'eau de consommation courante représente un marché de neuf milliards d'euros par an, dominé par deux géants : Veolia eau et Suez environnement. A Nîmes, démarrage d'une enquête sur ce vaste sujet. Parmi les grandes villes françaises, la commune détient le record des fuites d'eau. Près de trente pour cent de l'eau que paient les habitants se perd avant d'arriver chez eux. Depuis près de cinquante ans, les canalisations de Nîmes sont aux mains de la même entreprise : la Saur, qui semble se préoccuper d'avantage de ses comptes que des canalisations sans oublier qu'elle franchit régulièrement la ligne rouge vis à vis des lois françaises en matière de coupure d'eau, au risque d'un énorme gaspillage. Enquête sur le dossier explosif des eaux usées en Ile-de-France, où se mêlent lettres d'un mystérieux corbeau, information judiciaire pour corruption et plaintes d'entrepreneurs.

Le Magazine « Cash Investigation », et l’enquête menée par Marie Maurice, plongent ce soir dans des méandres et les tourbillons du marché de l’eau en France. Un marché évalué à plus de 9 milliards d’euros par an, et trusté par le numéro un mondial Veolia, son dauphin Suez, ainsi que la Saur, troisième du secteur, essentiellement présent en campagne et dans les villes de taille moyenne.

Quand les marchés du traitement des eaux usées du Grand Paris tournent à la plongée en eaux troubles. Le parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire à la suite d’une plainte d’un entrepreneur italien qui dénonce des faits de corruption en marge de l’attribution de ces marchés, a-t-on appris mardi de source proche du dossier.

Révélée par Le Monde, cette plainte vise des faits «d’ententes illicites, de corruption active, de trafic d’influence et toutes infractions en relation avec les marchés publics passés par le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne» (Siaap).

Marco Schiavio de la société Passavant dénonce des faits de corruption en marge d’un appel d’offres lancé en 2012 par le Siaap pour la refonte de l’usine de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), point de passage d’une importante partie des eaux usées de l’agglomération parisienne, un marché de plus de 311 millions d'euros.

Tentative de corruption

Le magazine d’investigation s’intéresse particulièrement à ce syndicat parce qu’il fait l’objet d’une information judiciaire au pôle financier de Paris, pour des soupçons de prise illégale d’intérêt, de corruption, et de trafic d’influence portant sur des marchés publics signés dès 2011. « Cash » révèle, à l’aide notamment de la dizaine de lettre envoyée par un mystérieux lanceur d’alerte depuis 2011, les tractations suspectes dans l’attribution de plusieurs marchés publics lancés par le Siaap. Le Monde a également publié une enquête après une plainte pour corruption en janvier dernier.

Dans une mise en scène aux allures de Commedia Dell’Arte, le magazine de France 2 découpe l’affaire en trois actes. En 2012, un appel d’offres est lancé pour la refonte d’une usine de traitement des eaux à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine). Passavant, une société italienne spécialisée dans le traitement de l’eau, est sur le coup. Tout comme OTV, une filiale de Veolia dirigée par un certain Patrick Barbalat.

Etant mis au courant des velléités des Italiens, Patrick Barbalat leur propose alors d’augmenter de 100 millions d’euros leur offre de départ (jugée trop compétitive par OTV) en échange d’une « enveloppe d’un million d’euros ». Marco Schiavio, patron de la société Passavant, refuse. Plus tard, apprenant que l’appel d’offres a finalement été remporté par la filiale de Veolia dont le projet est 70 millions d’euros plus cher que le sien, il envisage de contester l’attribution de ce marché devant le tribunal administratif.

L’affaire est loin d’être finie. Un deuxième puis un troisième acte suivent, nourris de nombreux soubresauts, dans lesquelle le Siaap est notamment accusé d’être intervenu, afin d’écarter les Italiens d’un autre appel d’offres à Achères Seine Aval (Yvelines), la plus grande station d’épuration d’Europe.



1 milliard de mètres cube d’eau perdue chaque année

Pour autant, les révélations en fin d’émission ne doivent pas éclipser celles du début. L’une d’entre elles étant qu’en France, sur cinq litres d’eau potable, un litre n’arrive jamais aux robinets des foyers. En cause : des fuites dues à des tuyaux percés qui font perdre chaque année près de 1 000 milliards de litres d’eau, aux frais du contribuable.

Marie Maurice s’est rendue à Nîmes, mauvais élève en termes de rendement. Alors que la moyenne nationale est à 79,3 %, soit un litre sur cinq d’eau perdue, la cité gardoise plafonne, elle, à 70,5 %. La faute à des canalisations anciennes, et au service non rendu par Saur. Le délégataire ne manque en revanche pas de faire payer son eau 33 à 40 % plus cher aux habitants de la métropole nîmoises, sans subir le moindre contrôle de la municipalité. Saur, ainsi que le montre le magazine, s’illustre également dans le chantage à la coupure d’eau pour les plus mauvais payeurs. Une pratique pourtant interdite pour les résidences principales depuis la loi Brottes de 2013.

Veolia, Suez, Saur, la bande à bonne eau se bat pour rester à flot selon le Canard Enchaîné en 2012
De nombreux élus engagent un bras de fer avec les marchands de flotte. Soit pour récupérer la gestion, soit pour renégocier la concession. D’autres préfèrent se laisser câliner par ces compagnies, toujours prêtes à rendre service.

Le gouvernement abrite une brochette de dangereux collectivistes. Pierre Moscovici (Finances) Manuel Valls (Intérieur), Laurent Fabius (Affaires Étrangères), Valérie Fourneyron (sports et Jeunesses) font partie des quelques élus qui ont rendu la gestion de leur villes à la puissance publique dans leurs villes respectives. Des exceptions car, sur les deux tiers du territoire, distribution et assainissement de la flotte sont aux mains de trois groupes privés : Veolia, Suez-Lyonnaise et Saur.

Jusqu’à plus soif


Mais cette vague sournoise de nationalisation ne fait que grossir. Après les pionniers Grenoble et Paris, voilà que Toulouse, Lille ou Villeneuve-sur-Lot (ex-mairie de l’actuel ministre du budget, Jérôme Cahusac, envisagent un retour en régie publique de leur eau. Tour comme… Tulle, dont François Hollande fut le maire fut durant sept ans. Valérie Trierveiler soutient d’ailleurs publiquement l’association Acme, qui milite contre la privatisation de l’eau !

Veolia parle de »mode à dimension idéologique ». Pourtant, la droite est contaminée : Lorsque la communauté urbaine de bordeaux a promis, elle aussi, le retour en régie, Alain Juppé a donné son feu vert. Il est vrai que, selon plusieurs études, le prix moyen de l’eau « publique » est inférieur de 10 à 20 % sa facture pour conserver Toulouse (en attendant le retour programmé dans le giron public). Mais ce dernier groupe n’avait encore rien vu ; le maire UMP d’Antibes, Jean Leonetti, vient de lui arracher de 43 à 78 % de baisse, selon le volume consommé !

« Quand leurs élus obtiennent un allégement de 30 %, ce qui est une bonne renégociation, les usagers se rendent compte qu’ils se sont fait avoir pendant des années » commente Jean-Luc Touly, président de l’association Acme. Argument réfuté par Louis-Marie Pons, directeur du clientèle chez Veolia : « Lorsqu’on finit d’amortir nos investissements, il est normal que nos tarifs baissent. »

A ceci près qu’une flopée de rapports de chambres régionales des comptes aboutissent au même constat : les tarifs surévalués pratiqués par les marchands d’eau incluent souvent le remboursement de frais indus et des « provisions pour travaux à venir » parfois démesurées. C’est ainsi que la communauté urbaine de Bordeaux a récupéré 225 millions auprès de Suez-Lyonnaise et que celle de Lille réclame 115 millions au même groupe. Un bouillon au goût saumâtre.

Fuites en avant

Des centaines de contrats entre collectivités et marchands d’eau vont être obligatoirement renégociés dans les trois ans qui viennent. Les durées exorbitantes des concessions dont ont bénéficié les compagnies ont été déclarées illégales par le Conseil d’État. Cet arrêt de 2009, dit « arrêt Olivet », oblige à renégocier tous les contrats d’une durée supérieure à vingt ans. Ce qui accélère la décrue des factures ou le retour en régie. Retour encouragé par le même Conseil d’État, il autorise les départements (comme celui des Landes, précurseur) à subventionner les villes gérant elles-mêmes leur flotte. Ces collectivistes sont prêts à tout pour tarir les profits du privé.

Cascades d’astuces pour couler les gêneurs

La scène se déroule le 12 juillet à Issoudun (Indre). Le maire, André Laignel, ex-ministre de Mitterrand, demande au conseil municipal un vote de confiance sur la gestion de l’eau. Mettant en avant une baisse de 23 % du prix au robinet (moins que la hausse subie depuis 2006), Laignel atteint son objectif : réattribuer le marché à Suez-Lyonnaise.

Le vote est triomphal. Bien aidé, il est vrai, par la menace de retrait de délégation aux fortes têtes. Malvenue, une élue qui a voté contre se voit gratifiée du propos acides. Il y a trois ans, le Vert Hubert Cendrier, qui s’était lui aussi opposé au contrat, avait eu droit, en retour, à la double menace d’ »une claque » par le maire et d « un coup de poing dans la gueule » par un adjoint.

Comme Laignel, beaucoup d’élus font preuve d’une émouvante fidélité envers leur marchand d’eau privé, avec lequel ils ont tissé, depuis des dizaines d’années des liens très serrés. A Lyon, où le contrat expire en 2016, le maire PS Gérard Colomb se proclame déjà « favorable à la concession » dévolue, pour l’essentiel à Veolia alors que la facture de distribution de l’eau reste l’une des lus élevées de France…

Même indéfectible attachement de l’UMP André Santini à Veolia, qui abreuve son Syndicat des eaux d’Ile de France (144 communes, 350 millions par an). L’héritière de la Générale des Eaux, qui tient le marché depuis 1923, a obtenu sa reconduction en 2010, malgré plusieurs rapports officiels très critiques (suivis de petites baisses de facture).

La communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM) file, elle aussi, le parfait amour avec son fournisseur depuis cinquante-deux ans, Veolia.

D’amour et d’eau fraîche

Si les groupes aquatiques ne financent plus ouvertement la vie politique, comme dans le bon vieux temps, cela n’exclut ni les sentiments ni les bonnes manières. Les recrutements « utiles », par exemple. Dans les années 90, Veolia, qui règne à Marseille, avait embauché en douce le sulfureux Jean-Noël Guérini, patron des Bouches-du-Rhône. Elle a aussi compté dans ses rangs Éric Besson (alors PS), les UMP Michel Roussin, Alain Marsaud et Raymond-Max Aubert (qui avait généreusement prolongé le contrat de Veolia dans sa ville de Tulle). Suez-Lyonnaise avait pour sa part, trouvé un emploi (fictif) à la sœur d’Alain Carignon, à l’époque de Jack Lang, et des postes (sérieux) à Gérard Le Gall, ex-conseiller de Jospin, et à Éric Gheballi, proche du PS.

Ces curieuses liaisons et cette concurrence faussée en France intriguent la commission européenne. En janvier 2012, après des perquisitions au siège des trois groupes, elle a ouvert une « procédure formelle en matière d’entente et de position dominante ». Son rapport, auquel a collaboré Michel Barnier, commissaire au Marché intérieur, s’annonce, selon un observateur local, fort désagréable. D’autant que l’État devrait y être mis en cause : via la Caisse des dépôts, il est actionnaire (de 10 à 40 %) des trois entreprises ! Bruxelles ne comprend rien au libéralisme à la Française.

En eau trouble.

Les méthodes des distributeurs de flotte sont parfois imbuvables. « Marianne » (6/6) a révélé que Suez-Lyonnaise avait, en janvier, confié au cabinet Vae Solis une mission un peu particulière. Il s’agissait de « discréditer sur le fond » (sic) les arguments d’un élu Front de Gauche. Gabriel Amar, porte-drapeau des partisans du retour à la gestion publique de l’eau. Patron de cette étrange mission : Antoine Boulay, depuis peu chef de cabinet du ministre de l’Agriculture, Stéphan le Foll.
Sources : Le Canard Enchaîné, Le Parisien, Le Monde

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